A- Pouvez-vous nous parler du GWP Cameroun ?
M.Mamoudou OUSMAN: Le Partenariat National de l'Eau du Cameroun (GWP-Cmr) a été créé en 2005, avec le Pr. Mathias FONTEH comme président fondateur et président d'un comité de pilotage de sept membres avec pour objectif de faciliter l'adoption et la mise en œuvre des principes de la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) au Cameroun. Pour réaliser cette mission et cet objectif, le GWP-Cmr et ses partenaires ont mis en œuvre un certain nombre de programmes et de projets pilotes, notamment la phase 2 du Programme pour le Développement de l’Eau en Afrique (PAWDII), le Programme Eau, Climat et Développement (WACDEP), le projet de résilience climatique WASH entre autres.
Sur le plan institutionnel, le Partenariat National de l'eau du Cameroun (GWP-Cmr) a été officiellement reconnu comme une association en 2007 par le gouvernement du Cameroun, et est devenu un Partenariat National de l'Eau accrédité au sein du réseau du GWP en 2015. Le Partenariat comprend actuellement plus de soixante-quinze partenaires issus de la société civile, des institutions de l'État central, des organismes parapublics, des institutions académiques et de recherche, des institutions décentralisées de l'État comme les communes, et les opérateurs économiques. Bien que le GWP-Cmr soit toujours hébergé dans les bureaux du Secrétariat Régional de GWP-CAf, comme c'est le cas depuis 2007, sa capacité institutionnelle est en cours de renforcement, avec pour objectif d'atteindre une autonomie de gestion financière et administrative d'ici 2025.
B- Pourquoi le GWP-Cmr s'est-il engagé dans le processus de changement de son identité juridique ? Que signifie ce changement de statut juridique pour le GWP -Cmr et quelles en sont les implications ?
M.Mamoudou OUSMAN: En 2014, le GWP-Cmr a cherché à collaborer avec un Ministère partenaire et a réalisé que son statut juridique d'« Association » limitait sa capacité à établir des cadres de collaboration formels avec les ministères. C'est pourquoi les partenaires du GWP-Cmr, par l'intermédiaire du Comité de pilotage, ont entamé des discussions sur la nécessité de changer le statut juridique du GWP-Cmr d'une « Association » à une « Organisation non gouvernementale (ONG) ».
Selon la législation camerounaise, les avantages d'un statut d'« ONG » pour le GWP-Cmr sont nombreux. Ce statut ouvre la possibilité de diversifier les sources de financement, puisque le GWP-Cmr pourra désormais accéder à un financement direct des ministères et des institutions connexes - une avancée importante puisque le financement a été un défi pour le GWP-Cmr depuis sa création. Parmi les autres avantages, on peut citer :
- La possibilité d'accéder à des financements d'organisations nationales ou internationales, dans le cadre de la mise en œuvre de la gestion intégrée des ressources en eau ;
- La possibilité d'obtenir des subventions de personnes morales de droit public, des exonérations fiscales, des droits d'enregistrement, conformément au Code national des impôts et au Code d'enregistrement au Cameroun ;
- L’exonération des taxes et de déclarations, conformément au Code général des impôts et au code camerounais d'enregistrement ;
- L’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), conformément à la législation en vigueur.
C- Depuis combien de temps ce processus est-il en cours et quelles sont les difficultés rencontrées pour obtenir le statut d'ONG ? Des recommandations pour d'autres PNE du réseau GWP basées sur l'expérience ?
M.Mamoudou OUSMAN: Ce succès est le fruit d'un processus technique et administratif assez long. En fait, les procédures formelles d'obtention du statut d'ONG ont débuté en 2016 sur décision de 'Assemblée Générale. Il a d'abord fallu s'accorder sur ce principe en Assemblée Générale, s'adresser au ministère de l'Administration territoriale pour s'enquérir de la composition du dossier à soumettre, modifier les statuts et le règlement intérieur du GWP-Cmr et de faire appel à l'expertise d'un spécialiste juridique ayant une expérience avérée des questions relatives aux ONG pour faciliter le processus. Toute cette mobilisation nous a permis de préparer le dossier en bonne et due forme qui a été déposé et enregistré à la direction en charge des ONG au Ministère de l'Administration Territoriale (MINAT) pour évaluation. C'est à ce niveau que nous avons rencontré plusieurs difficultés. En raison de l'absence de certaines exigences administratives, le premier dossier déposé en 2016 a été rejeté en 2017. Nous avons mis à jour le dossier et avons soumis un nouveau dossier en janvier 2018. En raison de certaines difficultés dans le pays, l'enregistrement des ONG a été suspendu. A cet effet, ce n'est qu'en septembre 2019 que nous avons reçu une réponse du MINAT demandant des informations supplémentaires (il s’agissait de la liste des administrateurs du GWP-Cmr) pour compléter notre dossier. Une fois le dossier soumis, nous avons reçu l’arrêté ministériel n°00000005 approuvant officiellement le changement de statut juridique du GWP-Cmr d'association à celui d’ONG en avril 2020.
Sur la base de cette expérience, nous pouvons recommander à d'autres PNE de la sous-région Afrique Centrale ayant le statut juridique d’association et qui voudraient devenir ONG, de :
- S'assurer d'une bonne compréhension des avantages et inconvénients de ce changement pour le PNE, et ensuite de la législation de leur pays concernant les ONG avant de s'engager dans les procédures ;
- Solliciter les services d'un expert en droit public/privé ayant des connaissances en matière d'ONG ;
- S’assurer d’une bonne communication avec les services de leur pays chargés de l'enregistrement des ONG ;
- S’assurer du suivi régulier de leur dossier auprès de ces services afin d'être toujours informé de toutes modifications ;
- Prendre en compte l'évolution progressive souvent lente des dossiers dans l'administration publique.
D : Avant de nous séparer, avez-vous des réflexions sur les principales réalisations et leçons tirées de votre mandat de président du GWP Cameroun au cours des deux dernières années ? Et quelles perspectives pour l'avenir avec ce nouveau statut ?
M.Mamoudou OUSMAN: Concernant les principales réalisations, au niveau opérationnel nous avons pu appuyer le suivi intégré de l’ODD 6.5.1 au niveau du Ministère de l’Eau et de l’Energie.
Dans le cadre de la facilitation de la coopération sur les eaux transfrontalières, le GWP-Cmr soutient le Ministère de I ’Eau et de l’Energie du Cameroun(MINEE) dans la conduite du processus d'adhésion du Cameroun à la Convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux (Convention sur l'eau de 1992). Nous avons également mené à bien les phases 1 et 2 de l'étude sur l'impact psychosocial de la fluorose sur le genre à Meri (Extrême Nord) et partagé notre expérience au niveau mondial au cours de la 3e édition de la Conférence sur la sécurité de l'eau et le changement climatique organisée au Mexique par le Centre des Ressources Naturelles et du Développement et l'Université de San Luis Potosi.
Sur le plan institutionnel, nous avons mis en place le Comité Scientifique et Technique qui est un organe stratégique pour le GWP-Cmr ; ses membres ont par ailleurs contribué efficacement aux activités sur le genre et la fluorose et sur la mise en œuvre de l’ODD 6 (cible 6.5.1). Le changement du statut juridique du GWP-Cmr en Organisation Non Gouvernementale (ONG) est une autre grande réalisation au niveau institutionnel. Comme principales leçons de ces deux premières années, nous retenons qu’une organisation institutionnelle solide et bien structurée est un facteur indispensable dans la mobilisation des fonds auprès des partenaires. Autre leçon apprise c’est l’importance de la communication ou des façons de faire passer le message, des informations, des connaissances dans la mise en œuvre des activités (ateliers, réunions, études et autres).
Pour ce qui est des perspectives, c’est une grande opportunité pour le GWP-Cmr de s’inscrire dans la nouvelle stratégie GWP à l’horizon 2020-2025. Dans cette optique, nous envisageons d’étendre le réseau aux partenaires du secteur privé notamment les fondations, les entreprises de télécommunications et brassicoles, les solliciter pour davantage de prise de conscience, d’actions communes pour la sécurité de l’eau et le développement en milieu urbain et en milieu rural. Nous insisterons davantage sur le partage des connaissances et d’expériences sur les activités menées dans le cadre de la GIRE par la diffusion des rapports d’activités au niveau central pour davantage mettre en alerte le Gouvernement sur les enjeux du secteur de l’eau au Cameroun. En outre, nous avons l'intention de continuer à améliorer le travail effectué jusqu'à présent sur la sécurité de l'eau et l'adaptation au changement climatique (WACDEP) et sur le genre (projet pilote sur la fluorose) dans le cadre du programme Eau, Climat et Genre (WACDEP-G) pour le pays.
Une autre perspective est le renforcement institutionnel du GWP-Cmr en vue de la mobilisation de ressources financières au-delà de ce qui a été réalisé dans le passé ; concrètement, cela impliquera la production d'un manuel de procédures administratives et financières basé sur les expériences des projets mis en œuvre avec la Banque africaine de développement, l'UNOPS et l'UNICEF. Par la suite, nous souhaiterions mettre en place un système comptable autonome pour le GWP-Cmr comme une voie progressive vers son autonomie de gestion financière.