Hycinth Banseka, qui est coordinateur régional de GWP Afrique centrale, a indiqué qu'il s'agit d'une question complexe en Afrique, où le contexte culturel de chaque pays exige des approches différentes, et que l’importance des concepts utilisés ainsi qu’une vision sur le long terme sont essentiels pour progresser dans ce domaine.
"La question de la propriété et de l'accès aux ressources est un défi pour notre région et pour la plupart des pays africains - en particulier pour les femmes. L'accès est lié à la propriété, qui est elle-même liée aux lois coutumières et aux lois nationales - mais c'est dans le domaine des lois coutumières que les problèmes se posent. Nous essayons de comprendre quels sont les défis auxquels font face les différentes parties prenantes en relation avec ces lois coutumières", a expliqué Hycinth Banseka.
Ce travail est entrepris dans le cadre du programme Eau, Climat, Développement - Genre (WACDEP-G en anglais), dont l'objectif global est de transformer les inégalités entre les sexes en promouvant une planification, une prise de décision et un développement institutionnel selon une approche transformatrice en matière de genre en Afrique.
"L'égalité d'accès et de contrôle des ressources n'est pas un sujet sur lequel nous avons travaillé auparavant, mais le problème est clair. Je le sais par expérience personnelle. Le mari d'une relation proche possédait un terrain à côté de leur maison familiale, mais à sa mort, elle l'a perdue parce que la famille ne reconnaissait pas qu'elle en était propriétaire - ils lui ont confisqué sa terre. Les lois nationales contestent les lois coutumières, mais lorsque les femmes veulent contester ces lois elles font face à une série d'obstacles ", a dit Banseka.
Afin de comprendre et traiter les causes profondes des problèmes liés à l'égalité d'accès, il est nécessaire de travailler avec les personnes qui sont les gardiens de la culture dans les différents pays, selon Banseka.
Cela représente un défi supplémentaire pour l’agenda plus large du GWP en matière de genre, déclare Julienne Roux, experte du réseau du GWP :
"Nous pouvons contribuer à faire avancer les choses par nos actions en matière de gouvernance et de changement institutionnel, mais ces actions sont étroitement liées aux normes sociales et culturelles. Il n'y a pas de solution facile parce qu’elles dépendent de comment les personnes ont été élevées, à ce en quoi elles croient, à la façon dont elles se comportent et à la façon dont la société toute entière fonctionne. Les mesures que nous prenons - comme l’amélioration de la compréhension, la collaboration avec les institutions, les projets pilotes selon différentes approches - sont-elles en fin de compte suffisantes pour avoir un impact?"
C'est une question complexe et compliquée, convient Banseka, mais il pense qu'une solution clé réside dans l’approche du GWP, ayant déjà fait ses preuves, consistant à établir des partenariats incluant un large éventail de parties prenantes. Pour progresser sur les questions de genre, les partenaires doivent être choisis avec soin.
"Je ne pense pas que le GWP doive être le seul acteur sur le devant de la scène en matière de genre. Nous devons nous appuyer sur d'autres partenaires, comme ONU Femmes, qui connaissent les questions de genre. GWP n’est pas forcément reconnu par les gouvernements pour ces actions en matière de genre. Ils nous connaissent pour la gestion des ressources en eau. Si nous voulons faire passer notre message d’intégration du genre dans la gestion des ressources en eau, nous devons nous associer avec les acteurs actifs dans le domaine du genre. Nous devons mobiliser des partenaires que nous n'avons pas mobilisés auparavant, comme les autorités traditionnelles, qui sont les gardiens des cultures. Notre défi est de savoir comment les atteindre", explique M. Banseka.
Répondre à la problématique de la fluorose dentaire avec l’aide de l'église
Le GWP Afrique Centrale a eu une expérience réussie dans ce domaine, dans le cadre du développement, par le GWP Cameroun, de réponses sensibles au genre face au problème de la fluorose dentaire dans la région de l'Extrême Nord du pays. La fluorose dentaire est devenue un problème répandu dans les régions du Nord du pays en raison de l'excès de fluor dans l'eau potable provenant des nappes phréatiques. En plus des impacts de cette maladie sur la santé, elle crée une stigmatisation sociale, en particulier pour les jeunes filles et les femmes qui souffrent de cette de cette maladie. Le travail du GWP a mis en lumière les dimensions liées au genre de cet enjeu. Le projet a formé des femmes leaders sur la compréhension de l'origine de la fluorose dentaire dans le but de changer leur mentalité afin qu'elles puissent à leur tour sensibiliser leurs communautés, créer un effet de levier et réduire la stigmatisation des personnes affectées. Pour partager ce message, ces femmes ont eu recours à diverses activités, dont certaines ont été organisées par leurs églises et institutions confessionnelles.
"L'église a été un acteur majeur dans la sensibilisation sur la question de la fluorose - et je pense qu'elle peut également jouer un rôle lorsqu'il s'agit de sensibiliser à la question du genre. Il existe également un lien étroit entre l'église et les autorités traditionnelles, et nous pouvons utiliser l'église pour accéder aux autorités traditionnelles, car elles travaillent très bien ensemble, étant donné qu'elles sont toutes deux des leaders dans les communautés", déclare Banseka.
Le projet sur la fluorose est un bon exemple de la façon dont l’approche transformatrice de genre peut fonctionner dans la pratique, et prouve que si les parties prenantes pertinentes sont engagées, les personnes changent leurs normes et leur comportement.
"GWP utilise une approche participative, et nous utilisons un langage participatif pour parler de notre travail avec les communautés ainsi qu’avec les institutions. Nous avons appris que plus les parties prenantes sont inclues en amont dans un processus, plus elles seront engagées et plus elles le feront avancer", dit Julienne Roux.
Le langage est important - et la persévérance
La façon dont on parle d'un sujet est importante. C'est une leçon que Banseka a apprise lorsqu'il a présenté pour la première fois le projet WACDEP-G à ses partenaires au Cameroun. En effet, lorsqu’ils ont entendu qu'il s'agissait du genre, leur première réaction a été de le relier à des questions controversées autour de la sexualité.
"Vous devez faire très attention à la manière dont vous transmettez le message d'un programme, et vous devez reconnaître les sensibilités de chaque pays. Nous présentons maintenant le WACDEP-G à travers le concept de l’approche transformatrice de genre, ce qui clarifie et ouvre l'esprit des partenaires afin qu’ils comprennent de quoi il s'agit", dit Banseka.
En plus de trouver le bon langage, le facteur du temps est important à prendre en compte. Il faut du temps pour que le changement se produise :
"Nous avons d'abord identifié le problème de la fluorose et l'avons présenté aux parlementaires nationaux en 2010. Bien que ce sujet ait suscité un intérêt initial, la problématique n'a jamais été reprise en vue d’actions supplémentaires. Rien ne s'est produit. Mais comme nous étions convaincus de l’importance d’agir, nous avons continué à nous rapprocher de d'autres acteurs et nous avons continué à soulever la question jusqu'à ce que nous obtenions finalement le financement d'un premier projet par l'UNICEF. Cela nous a pris 7 ans. La question a toujours été sur la table, mais il a fallu 7 ans pour que quelqu'un soit prêt à faire quelque chose."
Aller au-delà de l'équité de genre
GWP Afrique Centrale a réussi à mobiliser la volonté politique autour de plusieurs enjeux, par le biais de l'engagement des médias et en adaptant le message ou en le liant à d'autres questions. Julienne Roux dit que cette approche devrait également fonctionner avec les messages liés au genre - mais là encore, cela prend du temps.
"Comment passer d'un discours superficiel sur l'égalité des sexes à un véritable leadership ? Pourrions-nous faire valoir que l'action en faveur de l'égalité des sexes est non seulement une nécessité absolue d'un point de vue moral et éthique, mais qu'elle sert également des objectifs économiques ? Les décideurs y prêteraient attention. Il pourrait s'agir de montrer, par exemple, que les femmes représentant une grande partie de la main-d'œuvre agricole, si vous ne leur permettez pas de participer à la prise de décision en matière de développement agricole, d'accéder aux outils d'amélioration de la productivité agricole et d'investir dans ce domaine, vous passez à côté de grandes opportunités de croissance économique", explique Mme. Roux.
C'est une approche qui plaît à Mr Banseka, qui nuance tout de même le propos en reconnaissant que, au vu de la complexité du sujet, GWP devrait plutôt rester concentré sur ce qu'il veut réaliser et ce qu'il peut faire en tant que réseau :
"Nous visons l'équité et l'égalité, mais ce n'est pas ce que nous faisons. Ce que nous faisons, c'est essayer d'autonomiser, de construire des structures, des alliances, et de connecter les gens pour qu'ils travaillent sur quelque chose. Nous leur donnons des capacités et les responsabilisons. Nous essayons d'examiner les structures qui ont été mises en place et de voir comment les influencer. De mon point de vue, si nous nous concentrons sur ce point, nous atteindrons notre objectif à long terme."
Enfin, Banseka évoque un point qu'il considère comme une force essentielle du GWP et qui le distingue des autres organisations - le GWP laisse du temps pour la réflexion et l'apprentissage afin de mener à bien les projets :
"Nous investissons beaucoup dans la compréhension de la théorie avant de la mettre en pratique. Il est important de comprendre les concepts avant de s'adresser aux parties prenantes. Si vous ne comprenez pas un sujet, n'essayez pas de le promouvoir auprès de quelqu'un d'autre, car cela vous apportera des problèmes. GWP possède les experts et les outils, et lorsque nous construisons un programme, nous prenons le temps de le mûrir avant de nous lancer dans la mise en œuvre et de le communiquer aux acteurs externes. Très peu d'organisations font cela. Elles emploient des personnes et les envoient au front. Mais c'est une valeur que GWP a - et nous formons les gens. Parfois, les gens pensent que ce n'est pas utile - je suis toujours d'avis contraire. Nous devons continuer à investir dans ce domaine."